DE LA RÉCRÉATION À LA RE-CRÉATION

La nature sauvage canadienne offre un espace de contemplation privilégié où l'homme peut fraterniser avec le cosmos. Jean Noël André raconte.

par Jean-Noël André

Jean-Noël André, acteur du congrès, est franco-canadien. Guide en nature sauvage, il travaille au sein de l'association Espace Art Nature.

Ma première expérience de beauté, je l'ai vécue à sept ans en haute montagne. C'était à l'occasion d'une ascension en famille dans les Alpes suisses. L'émerveillement envahissait mon coeur, la grandeur des pics, la neige sur les glaciers, le cristal de roche ramassé comme un trésor, la corne de chevreuil laissée en cadeau sur les pentes herbeuses... Autant de richesses qui m'étaient offertes en toute gratuité.

Bien des années ont passé et me voilà au Québec, où les montagnes se traduisent en immensités horizontales dans une nature « originelle ». Lorsque je pars en ski de fond sur le grand fleuve Saint-Laurent, en partie gelé, une émotion forte m'envahit à chaque fois devant l'infini de l'espace qui me saisit à tel point que, tout petit, je deviens immense, je deviens le fleuve.

Cette aptitude à m'émerveiller et à jouir des bienfaits de la nature, qui n'exclut pas une part d'efforts pour y accéder, m'a toujours habité. Plus tard, j'ai appris à prendre conscience que la nature est plus qu'un lieu de récréation, elle est aussi un espace de re-création. Cette sensation d'être petit dans l'immensité, d'être partie prenante d'une réalité qui me dépasse et m'inclut comme acteur, s'est révélée être pour moi un lieu privilégié de création.

La nature est devenue ma maison, et exercer un dominium sur la terre, petite parcelle de l'univers, c'est l'habiter, la cultiver, la respecter et vivre ses secrets. Le minéral m'introduit dans la mémoire, celle qui se mesure de façon cosmique en millions d'années. Les amérindiens disent que les roches sont des grands-pères car elles sont les gardiennes du passé : « Je suis une poussière d'étoile. »

Le végétal m'enseigne la vie qui veut vivre, la vie plus forte que la mort. Une perpétuelle résurrection se manifeste au rythme des saisons. L'animal me montre sa capacité prodigieuse à s'adapter aux milieux naturels afin de répondre à ses besoins essentiels et de perpétuer sa race. La sélection naturelle amènera les plus forts à survivre et à se régénérer. Il est étonnant de constater à quel point la mort est présente dans la nature et pourtant elle est signe de revitalisation et de renaissance. La grande forêt canadienne connaît chaque été des incendies grandioses causés surtout par la foudre, qui dévastent des centaines de milliers d'hectares, et fait surprenant, la forêt se régénère ainsi. C'est le cycle naturel de la vie et de la mort et la vie demeure plus têtue que jamais.

Et l'être humain qui, dit-on, est le seul vivant à être conscient de sa propre mort, se situe-t-il dans ou au dessus de la nature ? Comment peut-il répondre à ses angoisses existentielles et se réconcilier avec lui-même, avec ses morts intérieures, avec ses semblables ? Je sais d'expérience que les sources de vie qui génèrent la nature sont cosmiques. En fraternisant avec la nature, je peux puiser l'eau vive qui fait de moi un vivant parmi tous les vivants, un créateur capable d'inventer ma vie.

C'est dans cette perspective que j'ai créé Espace Art Nature, pour offrir des séjours dans la nature où l'on puisse vivre une expérience fondamentale d'être par et dans la nature, des séjours-découverte du Québec en toutes saisons, des activités ludiques et sportives comme la pêche, le canoë ou la trappe...

Finalement, la récréation et la re-création se rejoignent dans un acte intérieur qui transforme mon regard sur moi-même, sur les autres et sur mon environnement. Je suis acteur sur la grande scène de l'univers.